ENCHANTEMENT

ENCHANTEMENT
ENCHANTEMENT, Magie, évocation, sortilège, etc.
    Il n'est guère vraisemblable que toutes ces abominables absurdités viennent, comme le dit Pluche, des feuillages dont on couronna autrefois les têtes d'Isis et d'Osiris. Quel rapport ces feuillages pouvaient-ils avoir avec l'art d'enchanter des serpents, avec celui de ressusciter un mort, ou de tuer des hommes avec des paroles, ou d'inspirer de l'amour, ou de métamorphoser des hommes en bêtes ?
    Enchantement, incantatio, vient, dit-on, d'un mot chaldéen que les Grecs avaient traduit par epôde gonoeïa, chanson productrice. Incantatio vient de Chaldée ! allons, les Bochart, vous êtes de grands voyageurs; vous allez d'Italie en Mésopotamie en un clin d'oeil; vous courez chez le grand et savant peuple hébreu; vous en rapportez tous les livres et tous les usages; vous n'êtes point des charlatans.
    Une grande partie des superstitions absurdes ne doit-elle pas son origine à des choses naturelles ? Il n'y a guère d'animaux qu'on n'accoutume à venir au son d'une musette ou d'un simple cornet pour recevoir sa nourriture. Orphée, ou quelqu'un de ses prédécesseurs, joua de la musette mieux que les autres bergers, ou bien il se servit du chant. Tous les animaux domestiques accouraient à sa voix. On supposa bien vite que les ours et les tigres étaient de la partie: ce premier pas aisément fait, on n'eut pas de peine à croire que les Orphées faisaient danser les pierres et les arbres.
    Si on fait danser un ballet à des rochers et à des sapins, il en coûte peu de bâtir des villes en cadence; les pierres de taille viennent s'arranger d'elles-mêmes lorsque Amphion chante: il ne faut qu'un violon pour construire une ville, et un cornet à bouquin pour la détruire.
    L'enchantement des serpents doit avoir une cause encore plus spécieuse. Le serpent n'est point un animal vorace et porté à nuire. Tout reptile est timide. La première chose que fait un serpent (du moins en Europe) dès qu'il voit un homme, c'est de se cacher dans un trou comme un lapin et un lézard. L'instinct de l'homme est de courir après tout ce qui s'enfuit, et de fuir lui-même devant tout ce qui court après lui, excepté quand il est armé, qu'il sent sa force, et surtout qu'on le regarde.
    Loin que le serpent soit avide de sang et de chair, il ne se nourrit que d'herbe, et passe un temps très considérable sans manger: s'il avale quelques insectes, comme font les lézards, les caméléons, en cela il nous rend service.
    Tous les voyageurs disent qu'il y en a de très longs et de très gros; mais nous n'en connaissons point de tels en Europe. On n'y voit point d'homme, point d'enfant, qui ait été attaqué par un gros serpent ni par un petit; les animaux n'attaquent que ce qu'ils veulent manger; et les chiens ne mordent les passants que pour défendre leurs maîtres. Que ferait un serpent d'un petit enfant ? quel plaisir aurait-il à le mordre ? il ne pourrait en avaler le petit doigt. Les serpents mordent, et les écureuils aussi, mais quand on leur fait du mal.
    Je veux croire qu'il y a eu des monstres dans l'espèce des serpents comme dans celle des hommes; je consens que l'armée de Régulus se soit mise sous les armes en Afrique contre un dragon, et que depuis il y ait eu un Normand qui ait combattu contre la gargouille; mais on m'avouera que ces cas sont rares.
    Les deux serpents qui vinrent de Ténédos exprès pour dévorer Laocoon et deux grands garçons de vingt ans, aux yeux de toute l'armée troyenne, sont un beau prodige, digne d'être transmis à la postérité par des vers hexamètres, et par des statues qui représentent Laocoon comme un géant, et ses grands enfants comme des pygmées.
    Je conçois que cet événement devait arriver lorsqu'on prenait avec un grand vilain cheval de bois des villes bâties par des dieux, lorsque les fleuves remontaient vers leurs sources, que les eaux étaient changées en sang, et que le soleil et la lune s'arrêtaient à la moindre occasion.
    Tout ce qu'on a conté des serpents était très probable dans des pays où Apollon était descendu du ciel pour tuer le serpent Python.
    Ils passèrent aussi pour être très prudents. Leur prudence consiste à ne pas courir si vite que nous, à se laisser couper en morceaux.
    La morsure des serpents, et surtout des vipères, n'est dangereuse que lorsqu'une espèce de rage a fait fermenter un petit réservoir d'une liqueur extrêmement âcre qu'ils ont sous leurs gencives. Hors de là un serpent n'est pas plus dangereux qu'une anguille.
    Plusieurs dames ont apprivoisé et nourri des serpents, les ont placés sur leur toilette, et les ont entortillés autour de leurs bras.
    Les nègres de Guinée adorent un serpent qui ne fait de mal à personne.
    Il y a plusieurs sortes de ces reptiles; et quelques unes sont plus dangereuses que les autres dans les pays chauds; mais en général le serpent est un animal craintif et doux; il n'est pas rare d'en voir qui tettent les vaches.
    Les premiers hommes qui virent des gens plus hardis qu'eux apprivoiser et nourrir des serpents, et les faire venir d'un coup de sifflet comme nous appelons les abeilles, prirent ces gens-là pour des sorciers. Les Psylles et les Marses, qui se familiarisèrent avec les serpents, eurent la même réputation. Il ne tiendrait qu'aux apothicaires du Poitou, qui prennent des vipères par la queue, de se faire respecter aussi comme des magiciens du premier ordre.
    L'enchantement des serpents passa pour une chose constante. La sainte Écriture même, qui entre toujours dans nos faiblesses, daigna se conformer à cette idée vulgaire " L'aspic sourd qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre la voix du savant enchanteur. "
    " J'enverrai contre vous des serpents qui résisteront aux enchantements. "
    " Le médisant est semblable au serpent qui ne cède point à l'enchanteur. "
    L'enchantement était quelquefois assez fort pour faire crever les serpents. Selon l'ancienne physique cet animal était immortel. Si quelque rustre trouvait un serpent mort dans son chemin, il fallait bien que ce fût quelque enchanteur qui l'eût dépouillé du droit de l'immortalité:
    " Frigidus in pratis cantando rumpitur anguis. "
    VIRG., eclog. VIII, 71.
ENCHANTEMENT DES MORTS, OU ÉVOCATION.
    Enchanter un mort, le ressusciter, ou s'en tenir à évoquer son ombre pour lui parler, était la chose du monde la plus simple. Il est très ordinaire que dans ses rêves on voie des morts, qu'on leur parle, qu'ils vous répondent. Si on les a vus pendant le sommeil, pourquoi ne les verra-t-on point pendant la veille ? Il ne s'agit que d'avoir un esprit de Python; et pour faire agir cet esprit de Python, il ne faut qu'être un fripon, et avoir affaire à un esprit faible: or, personne ne niera que ces deux choses n'aient été extrêmement communes.
    L'évocation des morts était un des plus sublimes mystères de la magie. Tantôt on faisait passer aux yeux du curieux quelque grande figure noire qui se mouvait par des ressorts dans un lieu un peu obscur; tantôt le sorcier ou la sorcière se contentait de dire qu'elle voyait l'ombre, et sa parole suffisait. Cela s'appelle la nécromancie. La fameuse pythonisse d'Endor a toujours été un grand sujet de dispute entre les Pères de l'Église. Le sage Théodoret, dans sa question LXII sur le livre des Rois, assure que les morts avaient coutume d'apparaître la tête en bas; et que ce qui effraya la pythonisse, ce fut que Samuel était sur ses jambes.
    Saint Augustin, interrogé par Simplicien, lui répond, dans le second livre de ses questions, qu'il n'est pas plus extraordinaire de voir une pythonisse faire venir une ombre, que de voir le diable emporter Jésus-Christ sur le pinacle du temple et sur la montagne.
    Quelques savants voyant que chez les Juifs on avait des esprits de Python, en ont osé conclure que les Juifs n'avaient écrit que très tard, et qu'ils avaient presque tout pris dans les fables grecques; mais ce sentiment n'est pas soutenable.
DES AUTRES SORTILÈGES.
    Quand on est assez habile pour évoquer des morts avec des paroles, on peut à plus forte raison faire mourir des vivants, ou du moins les en menacer, comme le Médecin malgré lui dit à Lucas qu'il lui donnera la fièvre. Du moins il n'était pas douteux que les sorciers n'eussent le pouvoir de faire mourir les bestiaux; et il fallait opposer sortilège à sortilège pour garantir son bétail. Mais ne nous moquons point des anciens, pauvres gens que nous sommes, sortis à peine de la barbarie ! Il n'y a pas cent ans que nous avons fait brûler des sorciers dans toute l'Europe; et on vient encore de brûler une sorcière, vers l'an 1750, à Vurtzbourg. Il est vrai que certaines paroles et certaines cérémonies suffisent pour faire périr un troupeau de moutons, pourvu qu'on y ajoute de l'arsenic.
    L'Histoire critique des cérémonies superstitieuses, par Le Brun de l'Oratoire, est bien étrange; il veut combattre le ridicule des sortilèges, et il a lui-même le ridicule de croire à leur puissance. Il prétend que Marie Bucaille la sorcière, étant en prison à Valogne, parut à quelques lieues de là dans le même temps, selon le témoignage juridique du juge de Valogne. Il rapporte le fameux procès des bergers de Brie, condamnés à être pendus et brûlés par le parlement de Paris en 1691. Ces bergers avaient été assez sots pour se croire sorciers, et assez méchants pour mêler des poisons réels à leurs sorcelleries imaginaires.
    Le P. Le Brun proteste qu'il y eut beaucoup de surnaturel dans leur fait, et qu'ils furent pendus en conséquence. L'arrêt du parlement est directement contraire à ce que dit l'auteur. " La cour déclare les accusés dûment atteints et convaincus de superstitions, d'impiétés, sacrilèges, profanations, empoisonnements. "
    L'arrêt ne dit pas que ce soient les profanations qui aient fait périr les animaux: il dit que ce sont les empoisonnements. On peut commettre un sacrilège sans être sorcier, comme on empoisonne sans être sorcier.
    D'autres juges firent brûler, à la vérité, le curé Gaufridi, et ils crurent fermement que le diable l'avait fait jouir de toutes ses pénitentes. Le curé Gaufridi croyait aussi en avoir obligation au diable; mais c'était en 1611: c'était dans le temps où la plupart de nos provinciaux n'étaient pas fort au-dessus des Caraïbes et des Nègres. Il y en a eu encore de nos jours quelques uns de cette espèce, comme le jésuite Girard, l'ex-jésuite Nonotte, le jésuite Duplessis, l'ex-jésuite Malagrida; mais cette espèce de fous devient fort rare de jour en jour.
    A l'égard de la lycanthropie, c'est-à-dire des hommes métamorphosés en loups par des enchantements, il suffit qu'un jeune berger ayant tué un loup, et s'étant revêtu de sa peau, ait fait peur à de vieilles femmes, pour que la réputation du berger devenu loup se soit répandue dans toute la province, et de là dans d'autres. Bientôt Virgile dira (Ecl. VIII, v. 97):
    " His ego saepe lupum fieri, et se condere silvis
    Moerim, saepe animas imis exire sepulcris. "
    Moeris devenu loup se cachait dans les bois:
    Du creux de leurs tombeaux j'ai vu sortir des âmes.
    Voir un homme loup est une chose curieuse; mais voir des âmes est encore plus beau. Des moines du Mont-Cassin ne virent-ils pas l'âme de saint Bénédict ou Benoît ? Des moines de Tours ne virent-ils pas celle de saint Martin ? Des moines de Saint-Denys ne virent-ils pas celle de Charles-Martel ?
ENCHANTEMENTS POUR SE FAIRE AIMER.
    Il y en eut pour les filles et pour les garçons. Les Juifs en vendaient à Rome et dans Alexandrie, et ils en vendent encore en Asie. Vous trouverez quelques uns de ces secrets dans le Petit-Albert; mais vous vous mettrez plus au fait, si vous lisez le plaidoyer qu'Apulée composa lorsqu'il fut accusé par un chrétien, dont il avait épousé la fille, de l'avoir ensorcelée par des philtres. Son beau-père Émilien prétendait qu'Apulée s'était servi principalement de certains poissons, attendu que Vénus étant née de la mer, les poissons devaient exciter prodigieusement les femmes à l'amour.
    On se servait d'ordinaire de verveine, de ténia, de l'hippomane, qui n'était autre chose qu'un peu de l'arrière-faix d'une jument lorsqu'elle produit son poulain, d'un petit oiseau nommé parmi nous hochequeue, en latin, motacilla.
    Mais Apulée était principalement accusé d'avoir employé des coquillages, des pates d'écrevisses, des hérissons de mer, des huîtres cannelées, du calmar, qui passe pour avoir beaucoup de semence, etc.
    Apulée fait assez entendre quel était le véritable philtre qui avait engagé Pudentilla à se donner à lui. Il est vrai qu'il avoue dans son plaidoyer que sa femme l'avait appelé un jour magicien. Mais quoi ! dit-il, si elle m'avait appelé consul, serais-je consul pour cela ?
    Le satyrion fut regardé chez les Grecs et chez les Romains comme le philtre le plus puissant; on l'appelait la plante aphrodisia, racine de Vénus. Nous y ajoutons la roquette sauvage; c'est l'eruca des Latins: Et venerem revocans eruca morantem. Nous y mêlons surtout un peu d'essence d'ambre. La mandragore est passée de mode. Quelques vieux débauchés se sont servis de mouches cantharides, qui portent en effet aux parties génitales, mais qui portent beaucoup plus à la vessie, qui l'excorient, et qui font uriner du sang: ils ont été cruellement punis d'avoir voulu pousser l'art trop loin.
    La jeunesse et la santé sont les véritables philtres.
    Le chocolat a passé pendant quelque temps pour ranimer la vigueur endormie de nos petits-maîtres vieillis avant l'âge; mais on aurait beau prendre vingt tasses de chocolat, on n'en inspirera pas plus de goût pour sa personne.
    ".... Ut ameris, amabilis esto. "
    OVID., A. A., II, 107.
    Pour être aimé, soyez aimable.

Dictionnaire philosophique de Voltaire. 2014.

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