FORCE PHYSIQUE

FORCE PHYSIQUE
    Qu'est-ce que force ? où réside-t-elle ? d'où vient-elle ? périt-elle ? subsiste-t-elle toujours la même ?
    On s'est complu à nommer force cette pesanteur qu'exerce un corps sur un autre. Voilà une boule de deux cents livres; elle est sur ce plancher; elle le presse, dit-on, avec une force de deux cents livres: et vous appelez cela une force morte. Or, ces mots de force et de morte ne sont-ils pas un peu contradictoires ? ne vaudrait-il pas autant dire mort vivant, oui et non ?
    Cette boule pèse: d'où vient cette pesanteur ? et cette pesanteur est-elle une force ? Si cette boule n'était arrêtée par rien, elle se rendrait directement au centre de la terre. D'où lui vient cette incompréhensible propriété ?
    Elle est soutenue par mon plancher; et vous donnez à mon plancher libéralement la force d'inertie. Inertie signifie inactivité, impuissance. Or, n'est-il pas singulier qu'on donne à l'impuissance le nom de force ?
    Quelle est la force vive qui agit dans votre bras et dans votre jambe ? quelle en est la source ? comment peut-on supposer que cette force subsiste quand vous êtes mort ? va-t-elle se loger ailleurs, comme un homme change de maison quand la sienne est détruite ?
    Comment a-t-on pu dire qu'il y a toujours égalité de force dans la nature ? il faudrait donc qu'il y eût toujours égal nombre d'hommes ou d'êtres actifs équivalents.
    Pourquoi un corps en mouvement communique-t-il sa force à un corps qu'il rencontre ?
    Ni la géométrie, ni la mécanique, ni la métaphysique, ne répondent à ces questions. Veut-on remonter au premier principe de la force des corps et du mouvement, il faudra remonter encore à un principe supérieur. Pourquoi y a-t-il quelque chose ?
FORCE MÉCANIQUE.
    On présente tous les jours des projets pour augmenter la force des machines qui sont en usage, pour augmenter la portée des boulets de canon avec moins de poudre, pour élever des fardeaux sans peine, pour dessécher des marais en épargnant le temps et l'argent, pour remonter promptement des rivières sans chevaux, pour elever facilement beaucoup d'eau, et pour ajouter à l'activité des pompes.
    Tous ces faiseurs de projets sont trompés eux-mêmes les premiers, comme Lass le fut par son système.
    Un bon mathématicien, pour prévenir ces continuels abus, a donné la règle suivante.
    Il faut dans toute machine considérer quatre quantités: 1° La puissance du premier moteur, soit homme, soit cheval, soit l'eau, ou le vent, ou le feu
    2° La vitesse de ce premier moteur dans un temps donné
    3° La pesanteur ou résistance de la matière qu'on veut faire mouvoir
    4° La vitesse de cette matière en mouvement, dans le même temps donné.
    De ces quatre quantités, le produit des deux premières est toujours égal à celui des deux dernières: ces produits ne sont que les quantités du mouvement.
    Trois de ces quantités étant connues, on trouve toujours la quatrième.
    Un machiniste, il y a quelques années, présenta à l'Hôtel-de-ville de Paris le modèle en petit d'une pompe, par laquelle il assurait qu'il élèverait à cent trente pieds de hauteur cent mille muids d'eau par jour. Un muid d'eau pèse cinq cent soixante livres; ce sont cinquante-six millions de livres qu'il faut élever en vingt-quatre heures, et six cent quarante-huit livres par chaque seconde.
    Le chemin et la vitesse sont de cent trente pieds par seconde.
    La quatrième quantité est le chemin, ou la vitesse du premier moteur.
    Que ce moteur soit un cheval, il fait trois pieds par seconde tout au plus.
    Multipliez ce poids de six cent quarante-huit livres par cent trente pieds d'élévation, auquel on doit le porter, vous aurez quatre-vingt-quatre mille deux cent quarante, lesquels divisés par la vitesse, qui est trois, vous donnent vingt-huit mille quatre-vingts.
    Il faut donc que le moteur ait une force de vingt-huit mille quatre-vingts pour élever l'eau dans une seconde.
    La force des hommes n'est estimée que vingt-cinq livres, et celle des chevaux de cent soixante et quinze.
    Or, comme il faut élever à chaque seconde une force de vingt-huit mille quatre-vingts, il résulte de là que pour exécuter la machine proposée à l'Hôtel-de-ville de Paris, on avait besoin de onze cent vingt-trois hommes ou de cent soixante chevaux; encore aurait-il fallu supposer que la machine fût sans frottement. Plus la machine est grande, plus les frottements sont considérables: ils vont souvent à un tiers de la force mouvante ou environ; ainsi il aurait fallu, suivant un calcul très modéré, deux cent treize chevaux, ou quatorze cent quatre-vingt-dix-sept hommes.
    Ce n'est pas tout; ni les hommes ni les chevaux ne peuvent travailler vingt-quatre heures sans manger et sans dormir. Il eût donc fallu doubler au moins le nombre des hommes, ce qui aurait exigé deux mille neuf cent quatre-vingt-quatorze hommes, ou quatre cent vingt-six chevaux.
    Ce n'est pas tout encore: ces hommes et ces chevaux, en douze heures, doivent en prendre quatre pour manger et se reposer. Ajoutez donc un tiers; il aurait fallu à l'inventeur de cette belle machine l'équivalent de cinq cent soixante-huit chevaux, ou trois mille neuf cent quatre-vingt-douze hommes.
    Le célèbre maréchal de Saxe tomba dans le même mécompte, quand il construisit une galère qui devait remonter la rivière de Seine en vingt-quatre heures, par le moyen de deux chevaux qui devaient faire mouvoir des rames.
    Vous trouvez dans l'Histoire ancienne de Rollin, remplie d'ailleurs d'une morale judicieuse, les paroles suivantes:
    " Archimède se met en devoir de satisfaire la juste et raisonnable curiosité de son parent et de son ami Hiéron, roi de Syracuse. Il choisit une des galères qui étaient dans le port, la fait tirer à terre avec beaucoup de travail et à force d'hommes, y fait mettre sa charge ordinaire, et, par-dessus sa charge, autant d'hommes qu'elle en peut tenir. Ensuite se mettant à quelque distance, assis à son aise, sans travail, sans le moindre effort, en remuant seulement de la main le bout d'une machine à plusieurs cordes et poulies qu'il avait préparée, il ramena la galère à lui par terre aussi doucement et aussi uniment que si elle n'avait fait que fendre les flots. "
    Que l'on considère, après ce récit, qu'une galère remplie d'hommes, chargée de ses mâts, de ses rames, et de son poids ordinaire, devait peser au moins quatre cent mille livres; qu'il fallait une force supérieure pour la tenir en équilibre et la faire mouvoir; que cette force devait être au moins de quatre cent vingt mille livres; que les frottements pouvaient être la moitié de la puissance employée pour soulever un pareil poids; que par conséquent la machine devait avoir environ six cent mille livres de force. Or on ne fait guère jouer une telle machine en un tour de main, sans le moindre effort.
    C'est de Plutarque que l'estimable auteur de l'Histoire ancienne a tiré ce conte. Mais quand Plutarque a dit une chose absurde, tout ancien qu'il est, un moderne ne doit pas la répéter.

Dictionnaire philosophique de Voltaire. 2014.

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