MARIE MAGDELEINE

MARIE MAGDELEINE
    J'avoue que je ne sais pas où l'auteur de l'Histoire critique de Jésus-Christ a trouvé que sainte Marie Magdeleine avait eu des complaisances criminelles pour le Sauveur du monde. Il dit, page 130, ligne 11 de la note, que c'est une prétention des Albigeois. Je n'ai jamais lu cet horrible blasphème ni dans l'histoire des Albigeois, ni dans leurs professions de foi. Cela est dans le grand nombre des choses que j'ignore. Je sais que les Albigeois avaient le malheur funeste de n'être pas catholiques romains; mais il me semble que d'ailleurs ils avaient le plus profond respect pour la personne de Jésus.
    Cet auteur de l'Histoire critique de Jésus-Christ renvoie à la Christiade , espèce de poème en prose, supposé qu'il y ait des poèmes en prose. J'ai donc été obligé de consulter l'endroit de cette Christiade où cette accusation est rapportée. C'est au chant ou livre IV, page 335, note I; le poète de la Christiade ne cite personne. On peut à la vérité, dans un poème épique, s'épargner les citations; mais il faut de grandes autorités en prose, quand il s'agit d'un fait aussi grave et qui fait dresser les cheveux à la tête de tout chrétien.
    Que les Albigeois aient avancé ou non une telle impiété, il en résulte seulement que l'auteur de la Christiade se joue dans son chant IVe sur le bord du crime. Il imite un peu le fameux sermon de Menot. Il introduit sur la scène Marie Magdeleine, soeur de Marthe et du Lazare, brillante de tous les charmes de la jeunesse et de la beauté, brûlante de tous les désirs, et plongée dans toutes les voluptés. C'est, selon lui, une dame de la cour; ses richesses égalent sa naissance, son frère Lazare était comte de Béthanie, et elle marquise de Magdalet. Marthe eut un grand apanage, mais il ne nous dit pas où étaient ses terres. " Elle avait, dit le christiadier, cent domestiques et une foule d'amants; elle eût attenté à la liberté de tout l'univers. Richesses, dignités, grandeurs ambitieuses, vous ne fûtes jamais si chères à Magdeleine que la séduisante erreur qui lui fit donner le surnom de pécheresse. Telle était la beauté dominante dans la capitale, quand le jeune et divin héros y arriva des extrémités de la Galilée. Ses autres passions calmées cèdent à l'ambition de soumettre le héros dont on lui a parlé. "
    Alors le christiadier imite Virgile. La marquise de Magdalet conjure sa soeur l'apanagée de faire réussir ses desseins coquets auprès de son jeune héros, comme Didon employa sa soeur Anne auprès du pieux Énée.
    Elle va entendre le sermon de Jésus dans le temple, quoiqu'il n'y prêchât jamais. " Son coeur vole au-devant du héros qu'elle adore, elle n'attend qu'un regard favorable pour en triompher, et faire de ce maître des coeurs un captif soumis. "
    Enfin elle va le trouver chez Simon le lépreux, homme fort riche, qui lui donnait un grand souper, quoique jamais les femmes n'entrassent ainsi dans les festins, et surtout chez les pharisiens. Elle lui répand un grand pot de parfums sur les jambes, les essuie avec ses beaux cheveux blonds, et les baise.
    Je n'examine pas si la peinture que fait l'auteur des saints transports de Magdeleine n'est pas plus mondaine que dévote; si les baisers donnés sont exprimés avec assez de retenue; si ces beaux cheveux blonds dont elle essuie les jambes de son héros ne ressemblent pas un peu trop à Trimalcion, qui à dîner s'essuyait les mains aux cheveux d'un jeune et bel esclave. Il faut qu'il ait pressenti lui-même qu'on pourrait trouver ses peintures trop lascives. Il va au-devant de la critique, en rapportant quelques morceaux d'un sermon de Massillon sur la Magdeleine. En voici un passage:
    " Magdeleine avait sacrifié sa réputation au monde; sa pudeur et sa naissance la défendirent d'abord contre les premiers mouvements de sa passion; et il est à croire qu'aux premiers traits qui la frappèrent, elle opposa la barrière de sa pudeur et de sa fierté; mais lorsqu'elle eut prêté l'oreille au serpent et consulté sa propre sagesse, son coeur fut ouvert à tous les traits de la passion. Magdeleine aimait le monde, et dès lors il n'est rien qu'elle ne sacrifie à cet amour; ni cette fierté qui vient de la naissance, ni cette pudeur qui fait l'ornement du sexe, ne sont épargnées dans ce sacrifice; rien ne peut la retenir, ni les railleries des mondains, ni les infidélités de ses amants insensés à qui elle veut plaire, mais de qui elle ne peut se faire estimer, car il n'y a que la vertu qui soit estimable; rien ne peut lui faire honte; et, comme cette femme prostituée de l'Apocalypse, elle portait sur son front le nom de mystère, c'est-à-dire qu'elle avait levé le voile, et qu'on ne la connaissait plus qu'au caractère de sa folle passion. "
    J'ai cherché ce passage dans les Sermons de Massillon; il n'est certainement pas dans l'édition que j'ai. J'ose même dire plus, il n'est pas de son style.
    Le christiadier aurait dû nous informer où il a pêché cette rapsodie de Massillon, comme il aurait dû nous apprendre où il a lu que les Albigeois osaient imputer à Jésus une intelligence indigne de lui avec Magdeleine.
    Au reste, il n'est plus question de la marquise dans le reste de l'ouvrage. L'auteur nous épargne son voyage à Marseille avec le Lazare, et le reste de ses aventures.
    Qui a pu induire un homme savant et quelquefois éloquent, tel que le paraît l'auteur de la Christiade, à composer ce prétendu poème ? c'est l'exemple de Milton; il nous le dit lui-même dans sa préface: mais on sait combien les exemples sont trompeurs. Milton, qui d'ailleurs n'a point hasardé ce faible monstre d'un poème en prose; Milton, qui a répandu de très beaux vers blancs dans son Paradis perdu, parmi la foule de vers durs et obscurs dont il est plein, ne pouvait plaire qu'à des whigs fanatiques, comme a dit l'abbé Grécourt,
    En chantant l'univers perdu pour une pomme,
    Et Dieu pour le damner créant le premier homme.
    Il a pu réjouir des presbytériens en faisant coucher le Péché avec la Mort, en tirant dans le ciel du canon de vingt-quatre, en faisant combattre le sec et l'humide, le froid et le chaud, en coupant en deux des anges qui se rentraient sur-le-champ, en bâtissant un pont sur le chaos, en représentant le Messiath qui prend dans une armoire du ciel un grand compas pour circonscrire la terre, etc., etc., etc. Virgile et Horace auraient peut-être trouvé ces idées un peu étranges. Mais si elles ont réussi en Angleterre à l'aide de quelques vers très heureux, le christiadier s'est trompé quand il a espéré du succès de son roman, sans le soutenir par de beaux vers, qui à la vérité sont très difficiles à faire.
    Mais, dit l'auteur, un Jérôme Vida, évêque d'Albe, a fait jadis une très importante Christiade en vers latins, dans laquelle il a transcrit beaucoup de vers de Virgile. Eh bien, mon ami, pourquoi as-tu fait la tienne en prose française ? que n'imitais-tu Virgile aussi ?
    Mais feu M. d'Escorbiac, Toulousain, a fait aussi une Christiade. Ah ! malheureux, pourquoi t'es-tu fait le singe de feu M. d'Escorbiac ?
    Mais Milton a fait aussi son roman du nouveau Testament, son Paradis reconquis, en vers blancs qui ressemblent souvent à la plus mauvaise prose. Va, va, laisse Milton mettre toujours aux prises Satan avec Jésus. C'est à lui qu'il appartient de faire conduire en grands vers, dans la Galilée, un troupeau de deux mille cochons par une légion de diables, c'est-à-dire par six mille sept cents diables qui s'emparent de ces cochons (à trois diables et sept vingtièmes par cochon), et qui les noient dans un lac. C'est à Milton qu'il sied bien de faire proposer à Dieu par le diable de faire ensemble un bon souper. Le diable, dans Milton, peut à son aise couvrir la table d'ortolans, de perdrix, de soles, d'esturgeons, et faire servir à boire par Hébé et par Ganymède à Jésus-Christ. Le diable peut emporter Dieu sur une petite montagne, du haut de laquelle il lui montre le Capitole, les îles Moluques, et la ville des Indes où naquit la belle Angélique, qui fit tourner la tête à Roland. Après quoi le diable offre à Dieu de lui donner tout cela, pourvu que Dieu veuille l'adorer. Mais Milton a eu beau faire, on s'est moqué de lui; on s'est moqué du pauvre frère Berruyer le jésuite; on se moque de toi, prends la chose en patience.

Dictionnaire philosophique de Voltaire. 2014.

Игры ⚽ Поможем написать курсовую

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Marie-Magdeleine — is an oratorio (Drame Sacré) in three acts and four parts by Jules Massenet to a French libretto by Louis Gallet, based on La vie de Jésus (1863) by Ernest Renan. It was first performed at the Théâtre de l Odéon in Paris on April 11, 1873. The… …   Wikipedia

  • Marie-Magdeleine — ist ein Oratorium (Drame Sacré) von Jules Massenet nach einem französischen Libretto von Louis Gallet nach La vie de Jésus (1863) von Ernest Renan. Die erste Beschäftigung mit der Komposition erfolgte bereits während Massenets Romaufenthalt 1863… …   Deutsch Wikipedia

  • Marie-Magdeleine Brumagne — Marie Magdeleine Brumagne, née le 8 juillet 1920 à Lyon et morte le 10 novembre 2005 à Lausanne, est une journaliste et écrivain vaudoise. Biographie D origine belge, Marie Magdeleine Brumagne, journaliste, critique d art et écrivain s installe… …   Wikipédia en Français

  • Marie-Magdeleine (opéra) — Marie Magdeleine est un « drame sacré » en trois actes et quatre tableaux de Jules Massenet, sur un livret de Louis Gallet. Composée en grande partie lors de son séjour à la villa Médicis en 1864 1865, l œuvre est créée le… …   Wikipédia en Français

  • Marie Magdeleine — Marie de Magdala Pour les articles homonymes, voir Marie. Marie Madeleine pénitente par Antonio Canova. Mari …   Wikipédia en Français

  • Marie-Magdeleine Aymé de La Chevrelière — Pour les articles homonymes, voir Aymé et Lannes. Pour les autres membres de la famille, voir : Famille Lannes de Montebello. Marie Magdeleine Aymé de La Chevrelière …   Wikipédia en Français

  • Marie-Magdeleine — Provenance. Marie, vient de l hébreu mar yâm , signifie : princesse de la mer Madeleine, vient de l hébreu Magdala , nom du village où vécut Madeleine. Se fête le 22 juillet. Histoire. Marie Madeleine, soeur de Marthe et de Lazare, l ami de Jésus …   Dictionnaire des prénoms français, arabes et bretons

  • Marie-Antoinette de Geuser — Nom de naissance de Geuser Surnom Consummata Naissance 20 avril 1889 Le Havre, Seine Maritime Décès 22 juin 1918 (à 29 ans) Le Havre, Seine Maritime Nationalité …   Wikipédia en Français

  • Marie-Madeleine Davy — Pour les articles homonymes, voir Davy (homonymie). Marie Madeleine Davy[1] est une historienne et philosophe française, née à Saint Mandé le 13 septembre 1903 et morte le 1er novembre 1999 …   Wikipédia en Français

  • Marie-Marguerite Dufrost de Lajemmerais — Marguerite d Youville Pour les articles homonymes, voir sainte Marguerite (homonymie) et Marguerite D Youville (circonscription provinciale). Sainte Marguerite d’Youville …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”