APOTRES

APOTRES
    Après l'article APÔTRE de l'Encyclopédie, lequel est aussi savant qu'orthodoxe, il reste bien peu de chose à dire; mais on demande souvent: Les apôtres étaient-ils mariés ? ont-ils eu des enfants ? que sont devenus ces enfants ? où les apôtres ont-ils vécu ? où ont-ils écrit ? où sont-ils morts ? ont-ils eu un district ? ont-ils exercé un ministère civil ? avaient-ils une juridiction sur les fidèles ? étaient-ils évêques ? y avait-il une hiérarchie, des rites, des cérémonies ?
I. Les apôtres étaient-ils mariés ?
    Il existe une lettre attribuée à saint Ignace le martyr, dans laquelle sont ces paroles décisives: " Je me souviens de votre sainteté comme d'Élie, de Jérémie, de Jean-Baptiste, des disciples choisis, Timothée, Titus, Évodius, Clément, qui ont vécu dans la chasteté: mais je ne blâme point les autres bienheureux qui ont été liés par le mariage; et je souhaite d'être trouvé digne de Dieu, en suivant leurs vestiges dans son règne, à l'exemple d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, de Joseph, d'Isaïe, des autres prophètes tels que Pierre et Paul, et des autres apôtres qui ont été mariés. " Epist. ad Philadelphienses.
    Quelques savants ont prétendu que le nom de saint Paul est interpolé dans cette lettre fameuse; cependant Turrien, et tous ceux qui ont vu les lettres de saint Ignace en latin dans la bibliothèque du Vatican, avouent que le nom de Saint Paul s'y trouve. Et Baronius ne nie pas que ce passage ne soit dans quelques manuscrits grecs: " Non negamus in quibusdam graecis codicibus; " mais il prétend que ces mots ont été ajoutés par des Grecs modernes.
    Il y avait dans l'ancienne bibliothèque d'Oxford un manuscrit des lettres de saint Ignace en grec, où ces mots se trouvaient. J'ignore s'il n'a pas été brûlé avec beaucoup d'autres livres à la prise d'Oxford par Cromwell. Il en reste encore un latin dans la même bibliothèque; les mots Pauli et apostolorum y sont effacés, mais de façon qu'on peut lire aisément les anciens caractères.
    Il est certain que ce passage existe dans plusieurs éditions de ces lettres. Cette dispute sur le mariage de saint Paul est peut-être assez frivole. Qu'importe qu'il ait été marié ou non, si les autres apôtres l'ont été ? Il n'y a qu'à lire sa première Épître aux Corinthiens , pour prouver qu'il pouvait être marié comme les autres: " N'avons-nous pas droit de manger et de boire chez vous ? n'avons-nous pas droit d'y amener notre femme, notre soeur, comme les autres apôtres et les frères du Seigneur, et Céphas ? Serions-nous donc les seuls, Barnabé et moi, qui n'aurions pas ce pouvoir ? Qui va jamais à la guerre à ses dépens ? "
    Il est clair, par ce passage, que tous les apôtres étaient mariés aussi bien que saint Pierre. Et saint Clément d'Alexandrie déclare positivement que saint Paul avait une femme.
    La discipline romaine a changé; mais cela n'empêche pas qu'il y ait eu un autre usage dans les premiers temps.
II. Des enfants des apôtres.
    On a très peu de notions sur leurs familles. Saint Clément d'Alexandrie dit que Pierre eut des enfants; que Philippe eut des filles, et qu'il les maria.
    Les Actes des apôtres spécifient saint Philippe dont les quatre filles prophétisaient. On croit qu'il y en eut une de mariée, et c'est sainte Hermione.
    Eusèbe rapporte que Nicolas , choisi par les apôtres pour coopérer au saint ministère avec saint Étienne, avait une fort belle femme dont il était jaloux. Les apôtres lui ayant reproché sa jalousie, il s'en corrigea, leur amena sa femme, et leur dit: " Je suis prêt à la céder; que celui qui la voudra l'épouse. " Les apôtres n'acceptèrent point sa proposition. Il eut de sa femme un fils et des filles.
    Cléophas, selon Eusèbe et saint Épiphane, était frère de saint Joseph, et père de saint Jacques-le-Mineur et de saint Jude qu'il avait eu de Marie, soeur de la sainte Vierge. Ainsi saint Jude l'apôtre était cousin germain de Jésus-Christ.
    Hégésippe, cité par Eusèbe, dit que deux des petits-fils de saint Jude furent déférés à l'empereur Domitien , comme descendants de David, et ayant un droit incontestable au trône de Jérusalem. Domitien, craignant qu'ils ne se servissent de ce droit, les interrogea lui-même; ils exposèrent leur généalogie, l'empereur leur demanda quelle était leur fortune; ils répondirent qu'ils possédaient trente-neuf arpents de terre, lesquels payaient tribut, et qu'ils travaillaient pour vivre. L'empereur leur demanda quand arriverait le royaume de Jésus-Christ: ils dirent que ce serait à la fin du monde. Après quoi Domitien les laissa aller en paix; ce qui prouverait qu'il n'était pas persécuteur.
    Voilà, si je ne me trompe, tout ce qu'on sait des enfants des apôtres.
III. Où les apôtres ont-ils vécu ? où sont-ils morts ?
    Selon Eusèbe , Jacques surnommé le Juste, frère de Jésus-Christ, fut d'abord placé le premier sur le trône épiscopal de la ville de Jérusalem; ce sont ses propres mots. Ainsi, selon lui, le premier évêché fut celui de Jérusalem, supposé que les Juifs connussent le nom d'évêque. Il paraissait en effet bien vraisemblable que le frère de Jésus fût le premier après lui, et que la ville même où s'était opéré le miracle de notre salut fût la métropole du monde chrétien. A l'égard du trône épiscopal, c'est un terme dont Eusèbe se sert par anticipation. On sait assez qu'alors il n'y avait ni trône ni siége.
    Eusèbe ajoute, d'après saint Clément, que les autres apôtres ne contestèrent point à saint Jacques l'honneur de cette dignité. Ils l'élurent immédiatement après l'Ascension. " Le Seigneur, dit-il, après sa résurrection, avait donné à Jacques surnommé le Juste, à Jean et à Pierre, le don de la science; " paroles bien remarquables. Eusèbe nomme Jacques le premier, Jean le second; Pierre ne vient ici que le dernier: il semble juste que le frère et le disciple bien-aimé de Jésus passent avant celui qui l'a renié. L'Église grecque tout entière, et tous les réformateurs, demandent où est la primauté de Pierre ? Les catholiques romains répondent: S'il n'est pas nommé le premier chez les Pères de l'Église, il l'est dans les Actes des apôtres. Les Grecs et les autres répliquent qu'il n'a pas été le premier évêque, et la dispute subsistera autant que ces Églises.
    Saint Jacques, ce premier évêque de Jérusalem, frère du Seigneur, continua toujours à observer la loi mosaïque. Il était récabite, ne se faisant jamais raser, marchant pieds nus, allant se prosterner dans le temple des Juifs deux fois par jour, et surnommé par les Juifs Oblia, qui signifie le Juste. Enfin ils s'en rapportèrent à lui pour savoir qui était Jésus-Christ: mais ayant répondu que Jésus était " le fils de l'homme assis à la droite de Dieu, et qu'il viendrait dans les nuées, " il fut assommé à coups de bâton. C'est de saint Jacques-le-Mineur que nous venons de parler. Saint Jacques-le-Majeur était son oncle, frère de saint Jean l'évangéliste, fils de Zébédée et de Salomé. On prétend qu'Agrippa, roi des Juifs, lui fit couper la tête à Jérusalem.
    Saint Jean resta dans l'Asie, et gouverna l'église d'Éphèse, où il fut, dit-on, enterré.
    Saint André, frère de saint Pierre, quitta l'école de saint Jean-Baptiste pour celle de Jésus-Christ. On n'est pas d'accord s'il prêcha chez les Tartares, ou dans Argos: mais pour trancher la difficulté, on a dit que c'était dans l'Épire. Personne ne sait où il fut martyrisé, ni même s'il le fut. Les actes de son martyre sont plus que suspects aux savants; les peintres l'ont toujours représenté sur une croix en sautoir, à laquelle on a donné son nom; c'est un usage qui a prévalu sans qu'on en connaisse la source.
    Saint Pierre prêcha aux Juifs dispersés dans le Pont, la Bithynie, la Cappadoce, dans Antioche, à Babylone. Les Actes des apôtres ne parlent point de son voyage à Rome. Saint Paul même ne fait aucune mention de lui dans les lettres qu'il écrit de cette capitale. Saint Justin est le premier auteur accrédité qui ait parlé de ce voyage, sur lequel les savants ne s'accordent pas. Saint Irénée, après saint Justin, dit expressément que saint Pierre et saint Paul vinrent à Rome, et qu'ils donnèrent le gouvernement à saint Lin. C'est encore là une nouvelle difficulté. S'il établirent saint Lin pour inspecteur de la société chrétienne naissante à Rome, on infère qu'ils ne la conduisirent pas, et qu'ils ne restèrent point dans cette ville.
    La critique a jeté sur cette matière une foule d'incertitudes. L'opinion que saint Pierre vint à Rome sous Néron, et qu'il y occupa la chaire pontificale vingt-cinq ans, est insoutenable, puisque Néron ne régna que treize années. La chaise de bois qui est enchâssée dans l'église à Rome, ne peut guère avoir appartenu à saint Pierre; le bois ne dure pas si longtemps; et il n'est pas vraisemblable que saint Pierre ait enseigné dans ce fauteuil comme dans une école toute formée, puisqu'il est avéré que les Juifs de Rome étaient les ennemis violents des disciples de Jésus-Christ.
    La plus forte difficulté, peut-être, est que saint Paul, dans son Épître écrite de Rome aux Colossiens , dit positivement qu'il n'a été secondé que par Aristarque, Marc, et un autre qui portait le nom de Jésus. Cette objection a paru insoluble aux plus savants hommes.
    Dans sa Lettre aux Galates, il dit " qu'il obligea Jacques, Céphas, et Jean, qui étaient colonnes, " à reconnaître aussi pour colonnes lui et Barnabé. S'il place Jacques avant Céphas, Céphas n'était donc pas le chef. Heureusement ces disputes n'entament pas le fond de notre sainte religion. Que saint Pierre ait été à Rome, ou non, Jésus-Christ n'en est pas moins fils de Dieu et de la Vierge Marie, et n'en est pas moins ressuscité; il n'en a pas moins recommandé l'humilité et la pauvreté, qu'on néglige, il est vrai, mais sur lesquelles on ne dispute pas.
    Nicéphore Caliste, auteur du quatorzième siècle, dit que Pierre " était menu, grand et droit, le visage long et pâle, la barbe et les cheveux épais, courts et crépus, les yeux noirs, le nez long, plutôt camus que pointu. " C'est ainsi que dom Calmet traduit ce passage. Voyez son Dictionnaire de la Bible.
    Saint Barthélemi, mot corrompu de Bar-Ptolemaios , fils de Ptolémée. Les Actes des apôtres nous apprennent qu'il était de Galilée. Eusèbe prétend qu'il alla prêcher dans l'Inde, dans l'Arabie Heureuse, dans la Perse, et dans l'Abyssinie. On croit que c'était le même que Nathanael. On lui attribue un évangile; mais tout ce qu'on a dit de sa vie et de sa mort est très incertain. On a prétendu qu'Astyage, frère de Polémon roi d'Arménie, le fit écorcher vif; mais cette histoire est regardée comme fabuleuse par tous les bons critiques.
    Saint Philippe. Si l'on en croit les légendes apocryphes, il vécut quatre-vingt-sept ans, et mourut paisiblement sous Trajan.
    Saint Thomas-Didyme. Origène, cité par Eusèbe, dit qu'il alla prêcher aux Mèdes, aux Perses, aux Caramaniens, aux Bactriens, et aux mages, comme si les mages avaient été un peuple. On ajoute qu'il baptisa un des mages qui étaient venus à Bethléem. Les manichéens prétendaient qu'un homme ayant donné un soufflet à saint Thomas, fut dévoré par un lion. Des auteurs portugais assurent qu'il fut martyrisé à Méliapour, dans la presqu'île de l'Inde. L'Église grecque croit qu'il prêcha dans l'Inde, et que de là on porta son corps à Édesse. Ce qui fait croire encore à quelques moines qu'il alla dans l'Inde, c'est qu'on y trouva, vers la côte d'Ormus, à la fin du quinzième siècle, quelques familles nestoriennes établies par un marchand de Mozoul, nommé Thomas. La légende porte qu'il bâtit un palais magnifique pour un roi de l'Inde, appelé Condafer; mais les savants rejettent toutes ces histoires.
    Saint Mathias. On ne sait de lui aucune particularité. Sa vie n'a été écrite qu'au douzième siècle, par un moine de l'abbaye de Saint-Mathias de Trèves, qui disait la tenir d'un Juif qui la lui avait traduite de l'hébreu en latin.
    Saint Matthieu. Si l'on en croit Rufin, Socrate, Abdias, il prêcha et mourut en Éthiopie. Héracléon le fait vivre longtemps, et mourir d'une mort naturelle; mais Abdias dit qu'Hirtacus, roi d'Éthiopie, frère d'Églipus, voulant épouser sa nièce Iphigénie, et n'en pouvant obtenir la permission de saint Matthieu, lui fit trancher la tête, et mit le feu à la maison d'Iphigénie. Celui à qui nous devons l'Évangile le plus circonstancié que nous ayons, méritait un meilleur historien qu'Abdias.
    Saint Simon Cananéen, qu'on fête communément avec saint Jude. On ignore sa vie. Les Grecs modernes disent qu'il alla prêcher dans la Libye, et de là en Angleterre. D'autres le font martyriser en Perse.
    Saint Thaddée ou Lébée, le même que saint Jude, que les Juifs appellent, dans saint Matthieu , frère de Jésus-Christ, et qui, selon Eusèbe, était son cousin germain. Toutes ces relations, la plupart incertaines et vagues, ne nous éclairent point sur la vie des apôtres. Mais s'il y a peu pour notre curiosité, il reste assez pour notre instruction.
    Des quatre Évangiles choisis parmi les cinquante-quatre qui furent composés par les premiers chrétiens, il y en a deux qui ne sont point faits par des apôtres.
    Saint Paul n'était pas un des douze apôtres; et cependant ce fut lui qui contribua le plus à l'établissement du christianisme. C'était le seul homme de lettres qui fût parmi eux. Il avait étudié dans l'école de Gamaliel. Festus même, gouverneur de Judée, lui reproche qu'il est trop savant; et, ne pouvant comprendre les sublimités de sa doctrine, il lui dit: Tu es fou, Paul; tes grandes études t'ont conduit à la folie. " Insanis, Paule; multae te litterae ad insaniam convertunt. "
    Il se qualifie envoyé, dans sa première Épître aux Corinthiens. " Ne suis-je pas libre ? ne suis-je pas apôtre ? n'ai-je pas vu notre Seigneur ? n'êtes-vous pas mon ouvrage en notre Seigneur ? Quand je ne serais pas apôtre à l'égard des autres, je le suis à votre égard... Sont-ils ministres du Christ ? Quand on devrait m'accuser d'impudence, je le suis encore plus. "
    Il se peut en effet qu'il eût vu Jésus, lorsqu'il étudiait à Jérusalem sous Gamaliel. On peut dire cependant que ce n'était point une raison qui autorisât son apostolat. Il n'avait point été au rang des disciples de Jésus; au contraire, il les avait persécutés; il avait été complice de la mort de saint Étienne. Il est étonnant qu'il ne justifie pas plutôt son apostolat volontaire par le miracle que fit depuis Jésus-Christ en sa faveur, par la lumière céleste qui lui apparut en plein midi, qui le renversa de cheval, et par son enlèvement au troisième ciel.
    Saint Épiphane cite des Actes des apôtres qu'on croit composés par les chrétiens nommés ébionites ou pauvres, et qui furent rejetés par l'Église; actes très anciens, à la vérité, mais pleins d'outrages contre saint Paul.
    C'est là qu'il est dit que saint Paul était né à Tarsis de parents idolâtres; " utroque parente gentili procreatus; " et qu'étant venu à Jérusalem, où il resta quelque temps, il voulut épouser la fille de Gamaliel; que dans ce dessein il se rendit prosélyte juif, et se fit circoncire; mais que n'ayant pas obtenu cette vierge (ou ne l'ayant pas trouvée vierge), la colère le fit écrire contre la circoncision, le sabbat, et toute la loi.
    " Quumque Hierosolymam accessisset, et ibidem aliquandiu mansisset, pontificis filiam ducere in animum induxisse, et eam ob rem proselytum factum, atque circumcisum esse; postea quod virginem eam non accepisset, succensuisse, et adversus circumcisionem, ac sabbatum, totamque legem, scripsisse. "
    Ces paroles injurieuses font voir que ces premiers chrétiens, sous le nom de pauvres, étaient attachés encore au sabbat et à la circoncision, se prévalant de la circoncision de Jésus-Christ, et de son observance du sabbat; qu'ils étaient ennemis de saint Paul; qu'ils le regardaient comme un intrus qui voulait tout renverser. En un mot ils étaient hérétiques; et en conséquence ils s'efforçaient de répandre la diffamation sur leurs ennemis, emportement trop ordinaire à l'esprit de parti et de superstition.
    Aussi saint Paul les traite-t-il de faux apôtres, d'ouvriers trompeurs, et les accable d'injures; il les appelle chiens dans sa lettre aux habitants de Philippes.
    Saint Jérôme prétend qu'il était né à Giscala, bourg de Galilée, et non à Tarsis. D'autres lui contestent sa qualité de citoyen romain, parce qu'il n'y avait alors de citoyen romain ni à Tarsis, ni à Giscala, et que Tarsis ne fut colonie romaine qu'environ cent ans après. Mais il en faut croire les Actes des apôtres, qui sont inspirés par le Saint-Esprit, et qui doivent l'emporter sur le témoignage de saint Jérôme, tout savant qu'il était.
    Tout est intéressant de saint Pierre et de saint Paul. Si Nicéphore nous a donné le portrait de l'un, les Actes de sainte Thècle, qui, bien que non canoniques, sont du premier siècle, nous ont fourni le portrait de l'autre. Il était, disent ces actes, de petite taille, chauve, les cuisses tortues, la jambe grosse, le nez aquilin, les sourcils joints, plein de la grâce du Seigneur. Statura brevi, etc.
    Au reste, ces Actes de saint Paul et de sainte Thècle furent composés, selon Tertullien, par un Asiatique, disciple de Paul lui-même, qui les mit d'abord sous le nom de l'apôtre, et qui en fut repris, et même déposé, c'est-à-dire exclus de l'assemblée; car la hiérarchie n'étant pas encore établie, il n'y avait pas de déposition proprement dite.
IV. Quelle était la discipline sous laquelle vivaient les apôtres et les premiers disciples ?
    Il paraît qu'ils étaient tous égaux. L'égalité était le grand principe des esséniens, des récabites, des thérapeutes, des disciples de Jean, et surtout de Jésus-Christ, qui la recommande plus d'une fois.
    Saint Barnabé, qui n'était pas un des douze apôtres, donne sa voix avec eux. Saint Paul, qui était encore moins apôtre choisi du vivant de Jésus, non seulement est égal à eux, mais il a une sorte d'ascendant; il tance rudement saint Pierre.
    On ne voit parmi eux aucun supérieur quand ils sont assemblés. Personne ne préside, pas même tour-à-tour. Ils ne s'appellent point d'abord évêques. Saint Pierre ne donne le nom d'évêque, ou l'épithète équivalente, qu'à Jésus-Christ, qu'il appelle le surveillant des âmes. Ce nom de surveillant, d'évêque, est donné ensuite indifféremment aux anciens, que nous appelons prêtres; mais nulle cérémonie, nulle dignité, nulle marque distinctive de prééminence.
    Les anciens ou vieillards sont chargés de distribuer les aumônes. Les plus jeunes sont élus à la pluralité des voix , pour avoir soin des tables, et ils sont au nombre de sept; ce qui constate évidemment des repas de communauté.
    De juridiction, de puissance, de commandement, de punition, on n'en voit pas la moindre trace.
    Il est vrai qu'Ananias et Saphira sont mis à mort pour n'avoir pas donné tout leur argent à saint Pierre, pour en avoir retenu une petite partie dans la vue de subvenir à leurs besoins pressants; pour ne l'avoir pas avoué; pour avoir corrompu, par un petit mensonge, la sainteté de leurs largesses: mais ce n'est pas saint Pierre qui les condamne. Il est vrai qu'il devine la faute d'Ananias; il la lui reproche; il lui dit: " Vous avez menti au Saint-Esprit; " et Ananias tombe mort. Ensuite Saphira vient, et Pierre au lieu de l'avertir l'interroge; ce qui semble une action de juge. Il la fait tomber dans le piége en lui disant: " Femme, dites-moi combien vous avez vendu votre champ. " La femme répond comme son mari. Il est étonnant qu'en arrivant sur le lieu, elle n'ait pas su la mort de son époux; que personne ne l'en ait avertie; qu'elle n'ait pas vu dans l'assemblée l'effroi et le tumulte qu'une telle mort devait causer, et surtout la crainte mortelle que la justice n'accourût pour informer de cette mort comme d'un meurtre. Il est étrange que cette femme n'ait pas rempli la maison de ses cris, et qu'on l'ait interrogée paisiblement comme dans un tribunal sévère, où les huissiers contiennent tout le monde dans le silence. Il est encore plus étonnant que saint Pierre lui ait dit: " Femme, vois-tu les pieds de ceux qui ont porté ton mari en terre ? ils vont t'y porter. " Et dans l'instant la sentence est exécutée. Rien ne ressemble plus à l'audience criminelle d'un juge despotique.
    Mais il faut considérer que saint Pierre n'est ici que l'organe de Jésus-Christ et du Saint-Esprit; que c'est à eux qu'Ananias et sa femme ont menti; et que ce sont eux qui les punissent par une mort subite; que c'est même un miracle fait pour effrayer tous ceux qui, en donnant leur bien à l'Église, et qui, en disant qu'ils ont tout donné, retiendront quelque chose pour des usages profanes. Le judicieux dom Calmet fait voir combien les Pères et les commentateurs diffèrent sur le salut de ces deux premiers chrétiens, dont le péché consistait dans une simple réticence, mais coupable.
    Quoi qu'il en soit, il est certain que les apôtres n'avaient aucune juridiction, aucune puissance, aucune autorité que celle de la persuasion, qui est la première de toutes, et sur laquelle toutes les autres sont fondées.
    D'ailleurs il paraît par cette histoire même que les chrétiens vivaient en commun.
    Quand ils étaient assemblés deux ou trois, Jésus-Christ était au milieu d'eux. Ils pouvaient tous recevoir également l'Esprit. Jésus était leur véritable, leur seul supérieur; il leur avait dit: " N'appelez personne sur la terre votre père, car vous n'avez qu'un père, qui est dans le ciel. Ne désirez point qu'on vous appelle maîtres, parce que vous n'avez qu'un seul maître, et que vous êtes tous frères; ni qu'on vous appelle docteurs, car votre seul docteur est Jésus. "
    Il n'y avait du temps des apôtres aucun rite, point de liturgie, point d'heures marquées pour s'assembler, nulle cérémonie. Les disciples baptisaient les catéchumènes; on leur soufflait dans la bouche pour y faire entrer l'Esprit saint avec le souffle , ainsi que Jésus-Christ avait soufflé sur les apôtres, ainsi qu'on souffle encore aujourd'hui, en plusieurs églises, dans la bouche d'un enfant quand on lui administre le baptême. Tels furent les commencements du christianisme. Tout se faisait par inspiration, par enthousiasme, comme chez les thérapeutes et chez les judaïtes, s'il est permis de comparer un moment des sociétés judaïques, devenues réprouvées, à des sociétés conduites par Jésus-Christ même, du haut du ciel, où il était assis à la droite de son père.
    Le temps amena des changements nécessaires; l'Église s'étant étendue, fortifiée, enrichie, eut besoin de nouvelles lois.

Dictionnaire philosophique de Voltaire. 2014.

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